Marchés de taux : bienvenue dans un nouveau monde

Les taux d’intérêts ne cessent d’augmenter ces derniers mois après des années où la tendance était complètement inversées, décryptage et raisons de la situation actuelle.

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Semaine après semaine, les taux progressent sur les marchés financiers. En quelques mois seulement, la configuration qui prévalait depuis plusieurs années a été bouleversée : les taux négatifs ont disparu (à l’exception du marché monétaire) et les marchés obligataires offrent désormais des rendements consistants. Au point que la BCE envisage un nouveau mécanisme d’intervention pour éviter l’envolée des taux d’emprunt de certains pays européens.

En début d’année, un taux d’intérêt de 2,4% par an était considéré comme élevé en Europe. Sur les marchés obligataires, ce type de rendement était associé aux emprunts risqués, dits « high yield », ainsi qu’aux titres subordonnés. En moins de 6 mois, un profond changement s’est opéré : du 14 au 21 juin, ce taux de 2,4% était celui des emprunts d’État français à 10 ans, faisant référence parmi les titres peu risqués de la zone euro, longtemps associés à des taux négatifs. L’Italie a, pour sa part, vu son taux d’emprunt à 10 ans bondir à 4% ce mois-ci.

Le retour des rendements élevés

Sur les marchés obligataires européens, les taux sont ainsi revenus à leurs plus hauts niveaux depuis 2013. Certains segments offrent des rendements particulièrement attrayants : à titre d’exemple, les dettes subordonnées du secteur bancaire européen (dites « AT1 »), qui s’adressent aux investisseurs capables d’en jauger les risques, offrent actuellement un rendement moyen proche de 9% par an.

En cause : le retour de l’inflation (8,1% sur 12 mois en zone euro), entraînant un durcissement des politiques monétaires. La BCE relèvera ses taux pour la première fois en juillet (+25 points de base attendus). Rappelons que la dernière hausse des taux de la BCE avait eu lieu en 2011. La banque centrale devrait ensuite relever ses taux de 50 points de base en septembre, mais un relèvement plus important est envisageable en cas de maintien d’une inflation élevée. Le consensus de marché, reflété par les taux Euribor, laisse entendre que le taux de dépôt de la BCE, encore fixé à -0,5% actuellement, pourrait dépasser 2% en juin 2023.

Double tranchant

À court terme, ce contexte s’avère négatif pour les détenteurs d’obligations : lorsque les taux montent, la valeur des titres en circulation baisse. Ainsi les placements en obligations souveraines européennes ont perdu, en moyenne, plus de 10% de leur valeur depuis le début de l’année (au 24 juin). En contrepartie, les investisseurs qui souhaitent commencer à investir sur les marchés obligataires y trouvent désormais des rendements plus attractifs. À long terme, la situation se traduira également par des rendements plus élevés pour les placements les moins risqués (fonds monétaires, comptes à terme, fonds en euros des contrats de capitalisation).

On notera que depuis le mois de juin, certaines voix s’élèvent pour mettre en garde contre un risque de blocage des retraits sur les fonds en euros dans le contexte actuel. Ce risque, qui constitue une mesure de sécurité pour les assureurs introduite par la loi Sapin II de 2016, pourrait théoriquement se concrétiser en cas de relèvement rapide des taux sur le marché obligataire et de retraits massifs des fonds en euros pour allouer ces sommes vers des placements plus rémunérateurs. Ce risque reste toutefois faible, du fait que les assureurs sont solidement capitalisés et pourraient faire face à cette situation sans avoir nécessairement recours à un blocage des retraits.

La BCE veut éviter de reproduire les erreurs passées

Une chose est sûre : face à la hausse généralisée des taux, la BCE cherche à empêcher un retour des craintes relatives à la soutenabilité des dettes publiques européennes.

Face à la montée des taux d’emprunt des pays périphériques (Italie notamment), la BCE a annoncé qu’un nouveau mécanisme, dont les détails seront probablement révélés le 21 juillet, sera adopté pour éviter une « fragmentation » de la zone euro en matière d’accès aux marchés financiers. La BCE cherche ainsi à éviter que la crise des dettes souveraines de 2010 à 2012 se reproduise, avec des taux d’emprunt insurmontables pour les pays les plus endettés. L’une des solutions envisagées serait que la BCE, sans réaliser de nouveaux achats nets de titres obligataires sur les marchés financiers, trouve un moyen d’acheter des titres souverains de pays périphériques tout en vendant d’autres actifs de son bilan.

Cette perspective a participé à un apaisement des taux sur les marchés obligataires depuis le 22 juin. Le taux d’emprunt à 10 ans français est repassé sous la barre des 2% et son équivalent italien est revenu à 3,5% (au 24 juin). Les prochaines semaines seront essentielles pour évaluer les capacités de la BCE à durcir sa politique monétaire tout en maîtrisant les taux d’intérêt des emprunteurs les plus fragiles.